Groupes FLAM: une langue dans laquelle on joue, on chante

Publié le par Français du monde - ADFE - Costa Rica

Assises FLAM - 25 juin 2012 Discours de Monique Cerisier ben Guiga Présidente de Français du monde-adfe

 

 Voici en quels termes il y a quelques jours l’écrivain Français et Libanais Amin Maalouf terminait son discours d’intronisation à l’Académie française :

« Mesdames et Messieurs de l’Académie,

Quand on a le privilège d’être reçu au sein d’une famille comme la vôtre, on n’arrive pas les mains vides. Et si on est l’invité levantin que je suis, on arrive même les bras chargés. Par gratitude envers la France comme envers le Liban, j’apporterai avec moi tout ce que mes deux patries m’ont donné : mes origines, mes langues, mon accent, mes convictions, mes doutes, et plus que tout peut-être mes rêves d’harmonie, de progrès et de coexistence. »

Parmi les centaines de milliers d’enfants français ou francophones nés à l’étranger auxquels les bonnes fées ont fait le don, dans leur berceau, de la langue française, il s’en trouve quelques uns qui pourraient, un jour, entrant à l’Académie française, apporter avec eux ce que leurs deux patries leur ont donné : deux langues, et plus, l’aspiration à l’harmonie, au progrès à la coexistence.

Mais parleront-ils français ? Seront-ils capables de communiquer dans cette langue, d’y puiser la culture nourricière de l’esprit et de l’âme, d’aimer écrire dans les mots qu’elle leur offre ?

Pour une majorité d’entre eux, la réponse est non.

Et c’est pour que la réponse soit OUI, que les groupes FLAM se sont créés.

La majorité des enfants français ou nés dans une famille francophone dans le monde ne parleront pas français à l’âge adule. C’est une perte pour eux. C’est une perte pour la France et la francophonie.

Pourquoi ? Parce que les deux tiers des enfants inscrits dans les consulats, auxquels il faut ajouter ceux qui ne sont pas inscrits et les enfants de parents francophones, n’iront jamais dans une école du réseau de l’AEFE. Eloignement géographique, sociologique, culturel et coût se conjuguent pour détourner les familles de ce choix éducatif ou le leur interdire.

Dans tous les pays où l’enseignement national, public ou privé, est de qualité, les familles font majoritairement le choix de la proximité et du moindre coût scolaire. Elles font aussi le choix de l’immersion, surtout si elles sont binationales. Pourquoi une mère allemande et un père français qui habitent à 20 km du centre de Francfort inscriraient-ils leur enfant dans une école lointaine ? Pourquoi lui imposeraient-ils ces déplacements quotidiens compliqués et onéreux pour eux, fatiguant pour lui, alors que l’école du quartier leur offre une solution de qualité, simple, ou l’enfant s’intégrera dans son groupe d’âge local.  

Au moment de la décision, pour le premier enfant, les parents se figurent qu’il suffira de continuer à parler français à l’enfant à la maison pour que la langue acquise dans la petite enfance se renforce d’une manière pérenne. Ce scenario se produit rarement.

Avec un seul enfant, la réussite est possible si le parent francophone est motivé, si le parent non francophone de naissance parle et aime la langue, aime se distraire et se cultiver dans cette langue, si les contacts avec la famille élargie francophone, grands-parents, cousins, sont fréquents et prolongés.

Mais le moment où l’enfant ne répond plus jamais en français si on lui parle dans cette langue est proche. Une année d’école en allemand, en portugais ou en suédois, une année de jeux dans ces langues, au parc, chez les camarades une année de télévision… l’arrivée d’un second, d’un troisième enfant et la partie du bilinguisme est perdue. Face à un enfant récalcitrant, qui fait vite bloc avec ses cadets, qui ne veut surtout pas être différent de ses camarades, le parent de langue française va baisser les bras, plus vite encore si c’est le père que la mère et ce n’est pas pour rien qu’on parle de « langue maternelle ». Il est dans une position d’infériorité linguistique telle qu’il choisira, souvent la mort dans l’âme, la cohésion familiale et l’intégration sociale au détriment de sa propre langue.

« Et voilà pourquoi votre fille est muette ».

Et voilà pourquoi ces charmants bambins français de Seattle ou de Sydney, nés de deux parents français seront dès 7 ou 8 ans, des petits américains, des petits australiens à qui la langue française sera en train de devenir étrangère.

C’est le même mécanisme que celui qui appauvrit culturellement les enfants de ’immigration en France, en les privant d’une compétence linguistique qu’ils vivent comme un boulet, alors que cela aurait été un atout, pour eux et pour la France.

Les groupes FLAM sont nés, bien avant de porter ce nom, grâce à l’initiative de familles qui se sont mobilisées pour faire que « leurs enfants leur répondent en français » comme le proclamait le manifeste de parents français et francophones de Zurich confrontés en 2000 à la suppression de l’enseignement de leur langue à l’école primaire de ce canton de Suisse alémanique.

Oui ils se sont crées. Ils n’ont pas été créés par la volonté de la puissance publique. Ils se sont créés au mieux dans l’indifférence des postes diplomatiques mais parfois contre les manoeuvres de tel conseiller culturel obtus, de tel proviseur de lycée français qui y voyait une concurrence.

Et voilà la préhistoire des animations enfantines de Francfort, une histoire où beaucoup d’associations présentes dans cette salle se retrouveront.

Mai (ou juin) 1984. Barbecue de la section ADFE de Francfort

« Mes enfants ne veulent plus parler français » - « Les miens non plus » - « Le mien exige que je lui parle allemand, que faire ? » - L’idée s’impose : réunir ces petits récalcitrants une ou deux fois par semaine. Trouver un local, une animatrice (ce n’est jamais un animateur à ma connaissance). Voilà la « langue maternelle revenue !. Leur lire des histoires, les faire chanter, dire des comptines en choeur, danser, monter des spectacles, jouer ensemble, et, sans les rebuter, les faire lire, écrire et passer, quand ils sont prêts, à quelques pprentissages scolaires.

Vite dit. Beaucoup à faire. Et cela a été fait, souvent réussi.

Les crédits et le nom sont venus bien après ces débuts à Francfort comme en Hollande ou en Grande Bretagne. Il a fallu attendre l’année 2000 pour obtenir enfin une réponse positive du ministère des Affaires étrangères. Quel progrès ? Enfin, on ne me rétorquait plus : « les crédits d’enseignement du français sont pour les étrangers ». « Et pourquoi ces enfants ne vont-ils pas à l’école française ? ». Hommage soit rendu à François Nicoullaud, alors directeur de la DGCID, qui a compris l’enjeu et levé les barrages.

Quelles sont les conséquences de cette genèse pour le réseau FLAM aujourd’hui ?

D’abord une extraordinaire diversité

Chacun a trouvé ses modes de fonctionnement adapté aux caractéristiques des familles et des enfants en gérant au mieux les contraintes des locaux. Le recrutement des animatrices a toujours été un casse-tête. Au cours de la journée, les associations présentes échangeront leurs expériences et nous en feront part. Classe d’école traditionnelle à Annaba, avec des instituteurs algériens souvent retraités, rompus aux méthodes de la pédagogie scolaire, groupe cimenté par la méthode du « Village » à Rome, accent mis sur le chant et les jeux ailleurs. Tous les moyens sont bons.

Le nombre d’heures varie : deux fois deux heures hebdomadaires par semaine, une seule séance de deux heures ailleurs.

Cette diversité est une richesse à cultiver avec soin. C’est elle qui garantit l’adéquation des méthodes avec les attentes. Rester francophone en Suisse alémanique ou en Suède, ce n’est pas le même environnement, le même défi. Le rester en Amérique latine ou en Espagne c’est plus différent qu’on ne l’imagine si on ne pense qu’à la distance entre le français et l’espagnol.

Cette diversité va de pair avec la créativité pédagogique qui est aussi l’un des atouts du programme FLAM. C’est un laboratoire de pratiques où l’éducation nationale française devrait puiser si elle se décidait enfin à stimuler le bilinguisme des uns, créer le bilinguisme des autres.

Le groupe FLAM en complément de l’école locale est une modalité de l’éducation bilingue. L’école AEFE en est une autre. La section bilingue une autre encore. Ce n’est pas concurrent. C’est complémentaire. Du groupe FLAM accueilli une ou deux années dans une école publique de New-York va naître une section pré-scolaire bilingue à laquelle s’ajouteront les classes primaires successives, fréquentées aussi bien par de petits américains que par les Haïtiens, les Français et les Libanais. L’initiative de quelques parents bénévoles et généreux de leur temps peut développer le groupe, le consolider, déboucher sur la création d’une école ou sur une section bilingue dans l’école locale. Il n’y a pas de schéma de développement unique mais de bonnes réponses à des conditions locales.

Lors des ateliers, cet après-midi, je suis sûre que nous parlerons d’échanges pédagogiques, de financement, de relation avec l’AEFE et avec ses écoles. Je n’aborderai pas ces thèmes.

Et pour conclure, je voudrais dire à quel point il est émouvant d’entendre des parents dire : « mon enfant aime venir au groupe FLAM », « il est heureux de parler français », « nous chantons ensemble ».

Qu’est ce que le groupe FLAM a obtenu ? Peut être pas que l’enfant parle et écrive un français académique. Cela, ce sera pour plus tard.

Il a réussi à changer le statut du français dans l’esprit et le coeur de l’enfant. En quelques semaines, le français n’est plus la langue qu’on a honte de parler devant les copains. Ce n’est plus ce rappel permanent de la différence, insupportable quand on a 7 ans. C’est une langue dans laquelle on joue, on chante, on se fait des amis, une langue parlée par d’autres adultes que papa ou maman. Une langue qui donne des plaisirs esthétiques dans la récitation et le chant. Une richesse et non un stigmate. C’est cela l’essentiel.

Grâces soient rendus aux parents, aux animateurs, aux écoles, paroisses, centres culturels de quartiers accueillants, aux écoles de l’AEFE qui, tel le lycée Chateaubriand à Rome, ont compris que cette mission leur incombait.

Bravo à ceux qui sont présents aujourd’hui et à tous ceux qui n’ont pas pu venir. En citoyen actif, ils ont pris en main, collectivement, une difficulté de la vie familiale à l’étranger et ils en ont fait un cadeau plein de potentiel au français, à la francophonie, à la France.

Merci.

Publié dans Enseignement, Francophonie

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article